Travaux en copropriété : quels droits et quels recours en cas de nuisances ?
- Camille JOLY

- 29 sept.
- 5 min de lecture

En copropriété, il n’est pas rare que des travaux soient entrepris : ravalement de façade pour préserver l’étanchéité et l’esthétique de l’immeuble, rénovation de la toiture, amélioration énergétique, installation d’un ascenseur, aménagement intérieur de lots privatifs… Ces opérations sont souvent nécessaires pour entretenir ou valoriser le patrimoine collectif. Pourtant, pour les occupants, elles peuvent vite se transformer en épreuve : bruits assourdissants, poussière omniprésente, accès bloqués, coupures d’eau ou d’électricité, voire dégradations des appartements. Beaucoup de copropriétaires et de locataires pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de subir, alors que la loi encadre strictement ces situations et prévoit des recours.
Le cadre juridique qui encadre les travaux en copropriété
Le régime de la copropriété est défini par la loi du 10 juillet 1965 et par le règlement propre à chaque immeuble. Ces textes distinguent différents types de travaux.
Les travaux réalisés sur les parties communes — par exemple la toiture, les façades, les colonnes montantes, les halls d’entrée ou les espaces verts — doivent être autorisés par l’assemblée générale des copropriétaires. Selon la nature et l’importance des travaux, la majorité requise diffère : simple, absolue ou renforcée (articles 24, 25 ou 26 de la loi de 1965). Une fois la décision régulièrement votée, c’est le syndic qui en supervise l’exécution.
Lorsque des travaux sont effectués par un copropriétaire sur ses parties privatives mais qu’ils modifient l’aspect extérieur de l’immeuble ou touchent à des éléments communs (pose de fenêtres visibles depuis la rue, installation d’une climatisation, création d’une ouverture dans un mur porteur), ils doivent également être autorisés par l’assemblée générale.
En revanche, les travaux strictement privatifs qui n’ont aucune incidence sur les parties communes ou l’apparence de l’immeuble peuvent être réalisés librement, sous réserve de ne pas affecter la solidité de l’édifice ni porter atteinte aux droits des autres copropriétaires. Cette limite est importante : même un chantier autorisé peut engager la responsabilité de son auteur s’il cause un trouble anormal de voisinage, un principe solidement établi par la jurisprudence.
Quand une nuisance devient-elle “anormale” ?
Tout chantier engendre inévitablement un certain inconfort : un peu de bruit, la présence d’ouvriers, un accès temporairement limité. Mais la tolérance a des limites. On considère qu’il y a nuisance anormale lorsque les désagréments dépassent ce que l’on peut raisonnablement attendre de travaux ordinaires.
Cela peut être le cas lorsque le bruit est particulièrement intense ou réalisé en dehors des horaires autorisés par la réglementation locale — la plupart des communes fixent des créneaux précis, généralement de 8 heures à 12 heures et de 14 heures à 19 heures en semaine, avec des restrictions le samedi et une interdiction totale le dimanche et les jours fériés.
Les poussières qui envahissent les appartements et rendent leur occupation insalubre, l’encombrement durable des parties communes ou l’impossibilité d’accéder à son logement ou à son parking sans qu’aucune solution alternative ne soit proposée sont également des signaux d’alerte.La durée du chantier joue aussi un rôle : des retards importants ou des interruptions injustifiées aggravent le caractère anormal de la nuisance.
Enfin, les dégâts matériels — fissures, infiltrations d’eau, salissures permanentes — sont un signe clair que les travaux dépassent la simple gêne passagère.
Bien préparer son dossier avant toute action
Pour pouvoir réagir efficacement, il est essentiel de rassembler des éléments concrets. Les nuisances doivent être objectivées : photographier les désordres visibles (gravats, fissures, poussière), filmer l’état des parties communes, tenir un carnet où sont notés les horaires des nuisances sonores, les coupures d’électricité ou d’eau, la durée des blocages.Faire appel à un huissier pour un constat peut être judicieux, en particulier si l’on envisage un recours judiciaire ultérieur. Les échanges écrits (mails, affichages dans les parties communes, comptes rendus d’assemblée générale) sont également utiles pour dater le début des travaux, identifier le maître d’ouvrage et démontrer que vous avez déjà tenté de vous informer ou d’alerter.
Chercher d’abord une solution amiable
Avant d’envisager un procès, la voie amiable doit être privilégiée. Souvent, un échange direct avec l’auteur des travaux ou avec l’entreprise de chantier permet d’ajuster les horaires, de mettre en place des protections supplémentaires ou d’organiser l’accès aux locaux bloqués.
En cas d’échec, il convient de prévenir le syndic. Celui-ci représente le syndicat des copropriétaires et a pour mission de faire respecter les règles collectives et d’assurer la jouissance paisible des parties communes. Une simple réclamation écrite peut suffire à le faire intervenir.
Si la gêne persiste, l’étape suivante est la mise en demeure : un courrier recommandé détaillant les nuisances, exigeant des mesures correctives sous un délai précis et rappelant les obligations légales (article 9 de la loi de 1965 et article 1240 du Code civil).
Cette lettre, rédigée avec rigueur — idéalement par un avocat —, a souvent un effet dissuasif.
Enfin, une tentative de conciliation ou de médiation peut être envisagée. Le recours à un conciliateur de justice ou à un médiateur spécialisé en copropriété est gratuit ou peu coûteux et peut aboutir rapidement à un accord écrit.
Les recours judiciaires en cas d’échec de l’amiable
Si les nuisances persistent malgré ces démarches, il est possible de saisir le Tribunal judiciaire.
Plusieurs actions sont envisageables.
La première consiste à demander la cessation ou l’aménagement des travaux : le juge peut imposer des mesures pour limiter les nuisances, adapter les horaires, protéger les parties communes ou interrompre temporairement le chantier.
Il est également possible de solliciter la désignation d’un expert judiciaire. Cet expert se rendra sur place pour constater l’ampleur des désordres, mesurer le bruit ou la poussière, chiffrer les dommages et proposer des solutions techniques.
Enfin, une action indemnitaire peut être engagée pour obtenir la réparation du préjudice subi : perte de jouissance du logement, salissures et nettoyage, remise en état, frais de relogement temporaire, atteinte à la valeur du bien. Les juges se fondent sur le principe général de responsabilité civile (article 1240 du Code civil) et sur la notion de trouble anormal de voisinage.
⚠️ Attention : certains délais sont stricts, notamment pour contester une décision d’assemblée générale ayant autorisé les travaux. Vous ne disposez que de deux mois à compter de la notification du procès-verbal pour agir. Passé ce délai, la décision devient définitive.
L’accompagnement précieux d’un avocat
Faire appel à un avocat spécialisé en droit immobilier est un atout majeur. Il saura vérifier la régularité de la décision qui autorise les travaux, identifier le responsable des nuisances (syndicat, copropriétaire, entreprise), rédiger une mise en demeure solide, engager la bonne procédure devant le tribunal et sécuriser les délais pour éviter la prescription.
L’avocat peut également intervenir en amont pour négocier un accord amiable et éviter un contentieux long et coûteux. Son expertise technique et juridique permet d’adopter la meilleure stratégie selon l’urgence et la gravité des troubles.
Par Maître Camille Joly, Avocate en droit immobilier à Saint-Germain-en-Laye


